Revenons sur cette affaire des Mauritius Leaks publiés en juillet 2019 par l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), et qui ont tant fait parler d’eux.

En résumé : une enquête menée durant des mois par 40 journalistes dans 18 pays, suite à l’envoi anonyme à l’ICIG d’une clé USB contenant plus de 200.000 fichiers divers (documents, e-mails, contrats, bandes-son confidentiels) émanant d’une Management Company dirigée par trois Mauriciens à Ebène.

Enquête au terme de laquelle Maurice s’est retrouvée accusée de « piller » l’économie africaine. En facilitant l’optimisation fiscale des investissements étrangers en Afrique grâce à des traités de non-double imposition.

Mais pour mieux comprendre le contexte, commençons par un tour d’horizon de l’économie mauricienne. Afin d’expliquer l’importance actuelle des services financiers pour l’économie du pays. Nous vous donnerons ensuite notre point de vue sur les Mauritius Leaks (voir la définition Wikipedia), et pourquoi on se trompe d’accusé dans cette histoire.

 

La canne et le textile

Historiquement, le premier pilier économique de Maurice a été la canne à sucre, grâce au support de l’Union Européenne. D’ailleurs les cannes recouvrent encore aujourd’hui une grande partie de l’île.

Mais l’île a toujours eu un coût de production élevé (plus de 400 USD par tonne). A cause notamment :

  • des roches volcaniques qui se trouvent partout sur les terrains agricoles
  • de la protection politique des employés du secteur
  • et de la petite taille des surfaces.

 

Et malheureusement, les avantages du Protocole Sucre, qui concernait tous les pays du groupe Afrique Caraïbes Pacifique, ont disparu à partir de 2009. En conséquence, depuis cette date, l’île produit du sucre à perte (le cours mondial est actuellement de 320 USD la tonne).

Le deuxième pilier économique fut ensuite l’industrie textile dans les années 70-90. Mais cette industrie est maintenant réduite à la portion congrue, au profit de Madagascar et du Bangladesh entre autres. Le salaire minimum à Maurice est de 200 euros par mois, contre 30 EUR/mois à Madagascar et 60 USD/mois au Bangladesh.

 

L’importance actuelle du secteur financier

Le secteur financier est celui qui a le plus progressé à Maurice ces 10 dernières années. Il représente une valeur ajoutée annuelle de 1,4 milliards USD soit 11,5% du PIB (Produit Intérieur Brut) de l’Île Maurice. Contre 12,4% pour les activités commerciales, 7,2% pour le tourisme, 3,4% pour le textile et moins de 1% pour le sucre.

La finance constitue le deuxième vecteur de croissance économique, avec une croissance de plus de 5% par an, derrière la construction. En effet, les producteurs sucriers sont contraints de vendre leurs actifs immobiliers pour pouvoir réduire leurs pertes encourues sur l’activité cannière ce qui est à l’origine du boom de l’offre immobilière.

A l’intérieur des services financiers, on trouve le « global business », mis en cause par l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists). C’est celui qui représente la moitié des activités financières.

Ce secteur dit du « global business » s’est développé dans les années 1990 grâce au Traité de Non Double Imposition signé avec l’Inde en 1982. Notamment avec la clause sur les plus-values, non imposables à Maurice. La majorité des fonds investissant en Inde, principalement Américains et Britanniques, ont massivement utilisé ce traité pour réduire leurs impôts payables.

Mais la situation s’est gâtée quand des familles indiennes ont utilisé Maurice pour réinvestir en Inde des sommes qu’elles détenaient dans des comptes à Londres ou à Genève. Ceci a passablement énervé les autorités indiennes, qui ont fini par obtenir une re-négociation du Traité en 2016, beaucoup moins favorable pour Maurice.

 

 

De gros investissements en Afrique

Dans l’intervalle, l’Île Maurice est devenue la plateforme principale au niveau mondial pour les investissements sur le continent africain. Quatorze pays africains ont signé des traités de non-double imposition avec Maurice. Et plusieurs autres sont en cours de ratification ou négociation.

Ceci est parfaitement logique et s’explique par de nombreuses raisons :

  • Maurice est membre de plusieurs organisations régionales africaines. On sait que les pays africains cherchent à attirer de nouveaux investisseurs
  • l’île a acquis depuis plus de 20 ans une expertise reconnue dans le domaine du « global business ». Et le coût de sa main-d’oeuvre qualifiée travaillant dans les bureaux est relativement modeste
  • et enfin, sa proximité géographique avec l’Afrique et le bi-linguisme courant anglais/français (les deux langues les plus parlées en Afrique) sur l’île, lui confèrent encore 2 avantages majeurs

 

Que reproche exactement l’ICIJ à Maurice sous le couvert des Mauritius Leaks ?

De réduire l’assiette fiscale des gouvernements africains, quoique l’ICIJ reconnaisse cependant que ces structures sont tout à fait légales.

Ces structures sont donc « immorales » selon l’ICIJ et ses premiers relais, Quartz ou l’Oxfam. Un crime qui mérite bien, aux yeux des bien-pensants, une vindicte mondiale bien orchestrée. Les Mauriciens, comme s’ils vivaient dans une oasis, devraient avoir honte d’affamer les pauvres Africains avec leurs traités de non-double imposition !

 

Pourquoi les Mauritius Leaks se trompent de cible ?

Les contenus confidentiels divulgués par les différents médias qui ont soit enquêté sur l’affaire, soit repris les sources de leurs concurrents sont parfaitement avérés.

Ces informations portent sur des opérations de finance internationale et/ou d’optimisation fiscale parfaitement légales. Opérations que ne conteste d’ailleurs en rien l’ICIJ, et que l’on peut effectuer dans bien d’autres endroits de la planète…

C’est le jugement de valeur qui en découle à propos de Maurice qui nous dérange profondément.

Quand on observe de manière impartiale la situation financière de toute la zone Afrique/Océan Indien, force est d’effectuer les 3 constats suivants :

 

1) L’Afrique souffre d’un manque chronique d’investissements

En moyenne, 5 milliards de dollars US sont investis tous les ans dans du « Private Equity » sur le continent africain. Dont une grosse partie en Afrique du Sud qui n’en a pas prioritairement besoin. Ces sommes pourtant colossales sont en réalité largement insuffisantes pour y créer les emplois nécessaires. Qui permettraient d’occuper et de rémunérer décemment les centaines de millions de jeunes sans emploi sur tout le continent.

Pire encore : l’investissement dans les sociétés africaines cotées en Bourse, qui ont perdu 21% au cours des cinq dernières années (voir graphique ci-dessous), a vu des désinvestissements massifs. C’est-à-dire des rapatriements de capitaux vers les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe depuis 2014. Or ces rapatriements n’ont été que trop faiblement compensés par les achats des institutionnels locaux, qui sont de petite taille.

Même constat pour les émissions obligataires émises par les entreprises africaines. Les montants investis dans ces obligations par les investisseurs internationaux sont misérables à l’échelle mondiale.

Pourquoi alors cibler Maurice via les « Mauritius Leaks » ? Au contraire, l’île offre des véhicules relativement rassurants (pouvant même dans certains cas réduire le risque d’expropriation, qui est un risque bien réel en Afrique) et efficients fiscalement pour les investisseurs sur le continent africain.

 

Mauritius Leaks données financières Afrique

 

2) L’Île Maurice coopère depuis des années avec l’international

Il faut savoir par exemple que l’OCDE valide systématiquement tous les changements apportés aux règles fiscales de l’Ile Maurice.

D’une part en termes d’échanges d’informations concernant la résidence fiscale. Soumis aux Common Reporting Standards avec l’Europe notamment et aux FATCA avec les Etats-Unis.

D’autre part en termes de BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), qui contraint progressivement les multinationales à ne pas transférer leurs profits là où les impôts sont les plus faibles. Ceci suite à un accord signé par Maurice et 68 autres pays au siège de l’OCDE le 5 juillet 2017.

 

3) L’Afrique est un continent où il est compliqué de gérer des entreprises

En effet, la somme d’obstacles y est considérable :

  • lourdeur administrative
  • main d’oeuvre majoritairement peu éduquée
  • faible pouvoir d’achat
  • infrastructures désuètes
  • multiples frontières
  • insécurité

En d’autres termes, les coûts d’investissement y sont très élevés, par rapport à l’Asie ou l’Amérique du Sud.

Si, après avoir réussi à affronter toutes ces difficultés qui majorent vos coûts de revient, vous deviez payer en plus une part importante de vos profits en impôts, plus personne ou presque n’y investirait !

Pour information, voici les taux d’imposition de quelques pays africains. Afrique du Sud 28%, Kenya, Tanzanie, Ouganda 30%, Zambie, RDC, Guinée 35%. Tous supérieurs à la moyenne des taux d’imposition sur les sociétés dans le monde, qui s’établit à 23%.

 

Notre conclusion à propos des Mauritius Leaks

Notre conviction profonde est donc qu’une éventuelle hausse des taux d’imposition réduira encore davantage les investissements vers le continent africain. Et ceci ne fera alors qu’y aggraver encore les problèmes économiques. Dont on sait qu’ils aboutissent de manière inéluctable à une émigration massive vers l’Europe.

Nous estimons donc que la conclusion de l’ICIJ, de Quartz et de l’Oxfam, en ciblant Maurice, est biaisée et même malintentionnée.

L’île joue aujourd’hui un rôle prépondérant de facilitateur pour les investissements mondiaux vers l’Afrique. S’attaquer à Maurice équivaut à remplacer les pneus d’un véhicule dont le moteur est cassé...

Mais alors, qui a pris la décision de s’attaquer à Maurice en 2019 avec les Mauritius Leaks ?

La réponse nous paraît être : ceux qui pensent en tirer profit. Or, clairement, il ne s’agit ni de l’Île Maurice ni de l’Afrique.

 

Lire ici une autre de nos analyses :
[Sept. 2019] Taux d’intérêt négatifs : l’Europe pourra-t-elle en sortir ?